Le développement des milieux de villégiatures n’est pas sans avoir des répercussions sur les écosystèmes aquatiques qui sont les plus recherchés par les villégiateurs. Parmi les inquiétudes soulevées, l’impact des activités nautiques motorisées sur les lacs demeure une des préoccupations majeures.

Dans le cadre du présent article, nous abordons les impacts reliés aux vagues issues du batillage des embarcations de plaisance, en particulier aux vagues générées par les wake boat (Fig.1) qui semblent au cœur des préoccupations de plusieurs riverains et qui peuvent, dans certaines circonstances, engendrer l’érosion des rives et du lit des lacs.

Érosion des rives en milieu lacustre

Bien que le Québec compte plus de 3 millions de plans d’eau, nos connaissances concernant l’érosion des rives des lacs demeurent anémiques. De nombreuses études ont été réalisées sur les rives du fleuve, de l’estuaire et du golfe du Saint-Laurent, mais il en est tout autrement pour les rives des milieux lacustres.

 

La problématique reliée à l’érosion des rives sur les lacs est complexe en raison des multiples facteurs qui entrent en ligne de compte dont:

  • La dimension et l’orientation du lac en fonction du vent (fetch),
  • La profondeur du lac,
  • Les étiages (réservoir),
  • La composition des sédiments de fond du lac,
  • La présence ou non de grands herbiers,
  • La morphologie et la composition granulométrique de la berge et de l’avant-rive,
  • La présence d’anses et de caps tout au long de la berge,
  • La fréquence et l’intensité des vagues.

Pour les besoins du présent article nous nommons berges la partie des terrains riverains comprise entre le haut et le bas du talus riverain, et avant-rive l’ensemble de la surface située en contrebas de la berge (rive et littoral), généralement submergée et sous influence des vagues.

  • Une berge et une avant-rive sont d’autant plus sensibles et affectées par les vagues que :
  • Leur composition granulométrique est grossière (sable, gravier, etc.),
  • La rive est abrupte,
  • Le profil longitudinal est sinueux, ce qui induit une concentration des vagues autour des avancées.

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Les vagues : mécanique générale

Rappelons que les vagues résultent d’un mouvement ondulatoire, chaque molécule d’eau étant animée d’un mouvement orbitaire, si bien qu’en théorie chaque molécule repasse sans cesse au même endroit : c’est le propre d’un mouvement oscillatoire.

Concrètement, en eau libre, la vague elle-même détermine un faible courant, car le mouvement d’avancée de chaque molécule d’eau est un peu plus ample que le mouvement de retrait, si bien que chaque molécule d’eau ne repasse pas strictement parlant au même endroit. Une vague poussée par le vent est une vague forcée. En revanche, on appelle houle la succession de vagues dues au vent, mais qui se propagent en dehors de la zone où il souffle.

En condition naturelle, et à l’approche de l’avant-rive, les vagues commencent à sentir le fond et à régler leur vitesse de propagation en fonction de la bathymétrie lorsque la profondeur de l’eau est approximativement inférieure à ¼ de la distance crête-crête entre deux ondes successives. Moins le lit du fond de l’avant-rive est profond, plus il exerce un frein sur le mouvement de la vague.

La résultante pratique est que le parcours des vagues à l’approche des rives se fait toujours de façon que l’onde s’aligne davantage sur les courbes bathymétriques (Figure 3). C’est ce qu’on nomme la réfraction des ondes, alors qu’on nomme diffraction le phénomène de concentrations des ondes derrière un obstacle. Dans ce cas il peut y avoir une superposition des vagues (clapotis) et la formation de vagues aux dimensions imposantes. Il en est de même des vagues qui rebondissent sur un muret en rive pour former avec la vague d’arrivée une superposition de vagues. Le passage répété et désordonné des wake boat engendre également la superposition des vagues et l’additivité de leur énergie.

Lors de la réfraction de la vague, l’onde oscillatoire se transforme en onde de translation qui exerce alors une très grande pression sur l’avant-rive et un criblage de celle-ci via les éléments solides qu’elle transporte.

 

Au moment du retrait de l’eau s’ensuit une succion des sédiments qui se fait sous l’action de la pesanteur suite au déferlement de la vague sur la berge ou la rive. L’adhérence des matériaux est d’autant plus forte que ceux-ci sont plus fins. Cependant, une fois enlevés, ils peuvent être transportés par un courant d’autant plus faible qu’ils sont plus petits. Pour des matériaux grossiers, l’érosion se fait dès que la vitesse suffit au transport.

 

IMPACTS DES ACTIVITÉS NAUTIQUES MOTORISÉES

Les rives et les berges des lacs sont en équilibre avec l’hydrodynamique naturelle qui prévaut sur chacun d’eux et cela depuis des centaines voire des milliers d’années dans certains cas. L’arrivée d’embarcations motorisées est venue changer cette dynamique surtout avec l’arrivée d’embarcations avec ballasts, les wakeboat, construites pour générer une vague servant à simuler une hauteur de vague propice à faire du surf. En raison de la hauteur et de l’énergie de ces nouvelles vagues sur les lacs, les rives doivent se réajuster et trouver un nouveau profil d’équilibre sédimentaire ce qui provoque des phénomènes d’érosion au droit des avant-rives et des berges, et des bris de murets et de quais.

Pour en arriver à établir une navigation durable, il est donc important de mieux comprendre les effets du passage des bateaux sur l’écosystème aquatique, en particulier à l’égard des rives et des berges des lacs afin de déterminer les conditions hydrodynamiques et environnementales les plus propices à la détermination de parcours de sillage de moindre impact. 

Plusieurs études ont démontré l’impact des embarcations à moteur sur les écosystèmes lacustres. Il résulte de ses études qu’une multitude de facteurs interviennent dans le processus : la vitesse de navigation, la force et le type de moteur, la géométrie de l’hélice, la géométrie de la coque, la cohésion des sédiments en cause dans l’érosion, la taille et la masse des particules formant les sédiments, la profondeur de l’eau, la stratification du lac, la morphologie des rives, etc.

Deux études réalisées au Québec

La première étude, celle de Mercier-Blais et Prairie (2014), consistait à mesurer sous 1 m d’eau les effets des vagues de batillage sur la remise en suspension des sédiments au droit des rives, surtout des avant-rives. Les résultats de cette étude ont permis de démontrer une évidence, à savoir que le passage d’embarcations au droit des rives génère une remise en suspension des sédiments présents en avant-rive, et que cette remise en suspension est proportionnelle à la proximité du passage des embarcations de la rive, et est associée aux types d’embarcations et de motorisation de ces derniers. Le passage des wake boat s’est avéré la situation la plus susceptible de produire la remise en suspension de sédiments.

L’étude a souligné que les matières en suspension mesurées se situaient souvent près de la limite de détection de l’équipement de mesure et donc que les résultats étaient inférieurs aux attentes initiales.

L’étude souligne que les vagues produites par les embarcations de type wakeboat doivent parcourir, de part et d’autre du sillage, une distance potentielle de 300 m ou plus, pour que l’énergie générée par celle-ci se dissipe complètement et cesse d’entraîner une remise en suspension des sédiments et une érosion accélérée des berges.

S’il est vrai que l’étude apporte des mesures indéniables sur les remises en suspension de sédiments, il est pour le moins surprenant qu’elle souligne que les berges s’en retrouvent érodées alors qu’aucune mesure en ce sens n’a été faite dans l’étude. D’autre part utiliser la non-remise en suspension de sédiments pour fixer une distance entre un parcours de wakeboat et la rive est inadéquate dans la mesure ou les rives subissent le brassage continu des sédiments même en condition naturelle sans intervention de vagues de batillage. L’érosion et le remodelage des berges constituent un meilleur indicateur, croyons-nous que la mesure de la simple remise en suspension des sédiments.

La seconde des deux études, soit celle de Raymond et de Cloutier-Galvez (2015), réalisée sur des lacs du Québec à évaluer l’impact des embarcations motorisées de type wakeboat sur deux aspects en particulier :

  • L’impact en profondeur des jets des systèmes de propulsion des embarcations à moteur,
  • La mesure de la vitesse générée par les systèmes de propulsion susceptible de remettre en suspension les sédiments dans la colonne d’eau.

Les données obtenues dans le cadre de cette étude suggèrent que les bateaux circulant à basse vitesse et à haute vitesse induisent peu de déplacement d’eau en profondeur comparativement à une vitesse intermédiaire. Ainsi une vitesse de plus ou moins 48 km/h avait moins d’impact qu’une vitesse de 5 km/h.

Sur le plan de la profondeur, les résultats suggèrent qu’à faibles et fortes vitesses
(5 km/h, 10 km/h et vitesse maximum), il y a un impact limité des embarcations sur une colonne d’eau n’excédant pas 1 à 2 m de profondeur. Les pratiques de « Wake surf » et « Wake board » quant à elles, impactent la colonne d’eau jusqu’à 5 m de profondeur.

Selon les auteurs, les résultats obtenus sont à coupler avec ceux obtenus par Mercier-Blais et Prairie (2014), à savoir que lors des pratiques de « Wake surf » et « Wake board », la vague de surface créée avait besoin d’au moins 300m pour perdre son énergie et ne plus éroder les berges.

Ainsi, pour les auteurs de cette étude, pour la mise en place d’une navigation responsable et durable, il est nécessaire de prévenir l’impact des bateaux sur l’érosion des berges, sur la remise en suspension des sédiments, et donc la mise en disponibilité du phosphore dans la colonne d’eau. Il faut donc préconiser une pratique des « Wake Surf » et « Wake Board » (avec des bateaux de 350 HP) dans des zones de 600 m de large et d’au moins 5 m de profondeur. Si une de ces conditions n’est pas respectée, il faut alors limiter/encadrer ces pratiques de navigation, car elles impactent l’environnement.

Les autres pratiques de navigations de plaisance sont à surveiller également avec une vitesse ne dépassant pas 5km/h dans les zones inférieures à 2 m de profondeur et 10 km/h dans les zones de 2 à 5 m.

L’étude de Goudey et Girod

Parmi les études réalisées sur le sujet, et bien que réalisées hors Québec, nous retenons plus particulièrement celle de Goudey et Girod (2015) en raison des moyens mis à leur disposition pour déployer un protocole complet et hautement sophistiqué pour mesurer l’énergie induite par les vagues produites par les wake boat.

 

Les données obtenues suggèrent que :

  • Les vagues produites par les wake boat (Wakeboard et wakesurf) depuis un point situé à au moins 60 m ou plus des rives, ne transportent pas assez d’énergie pour avoir un impact significatif sur la plupart des rives et des quais lorsque ceux-ci sont bien entretenus et ancrés convenablement, et sur les autres structures artificielles (murets, etc.).
  • La hauteur maximale des vagues produites par les activités de wakeboard et de wakesurf chute de 27 à 56 % dans les 30 à 35 premiers mètres de leurs sources (parcours).
  • En général, en raison de leurs morphologies, les vagues de batillage provenant de la circulation des bateaux (mode croisière), bateaux de plaisance inclus, se dissipent plus lentement que les vagues des wake boat, et ne présentent pas une baisse drastique de leur hauteur comme observée pour les wake boat.
  • Les vagues produites par un bateau de wakesurf passant au droit d’un rivage toutes les neuf minutes sont moins dommageables pour les rives que les vagues naturelles provenant d’un vent de 10 MPH courant sur une surface lacustre de 1,6 km.
  • Il est à noter que les conditions propices ou de moindres impacts soulignés par l’étude suggèrent impérativement qu’un lac doit présenter une surface en eau libre de plus ou moins 20 ha, ce qui exclut au Québec plus de 85 % de nos plans d’eau (Tableau1).

  • Les données issues des mesures reliées à cette étude suggèrent que les vagues de type wakesurf perdent rapidement de la hauteur et de l’énergie, car elles se brisent rapidement derrière le bateau.
  • Une fois que le sillage atteint les eaux peu profondes (littoral), l’énergie se dissipe en raison du frottement sur le fond du rivage ou de son avant-rive, la vitesse des vagues diminue et, par conséquent, les vagues deviennent plus raides et légèrement plus élevées, et peuvent se briser avant même d’atteindre le rivage.
  • Grâce à cette combinaison de facteurs (le sillage initial derrière le bateau et le frottement sur le fond en eau peu profonde), l’énergie d’un sillage est dissipée au fil du temps et de la distance.

  • Au rivage, l’énergie résiduelle était significativement moindre en eau peu profonde par rapport à celles provenant des mêmes conditions d’exploitation en eau profonde où les vagues progressaient avec moins de pertes.
  • L’énergie totale du sillage provenant d’un mode de navigation de type croisière en eau peu profonde et située à une distance de 45 m du rivage n’avait dissipé que 2% de son énergie par rapport à la même navigation, mais située à 3 m de la rive.
  • En eau peu profonde, l’énergie totale de sillage du wakesurf a chuté de 65% avec la même distance de la rive (3 m). Un passage supplémentaire à 30 m a permis une réduction de l’énergie totale supplémentaire de 20%. Les opérations en eau profonde ont donné des résultats moindres, l’énergie totale de sillage du wakesurf ayant chuté de 49% pour les 30 premiers m de distance à la rive et une réduction de 12% pour les 30 m suivants. La distance du rivage a un effet important sur la quantité d’énergie de sillage qui atteint le rivage. L’importance des vagues venant à terre dépend de la nature du rivage. Les rivages qui subissent régulièrement des vagues entraînées par le vent sont clairement plus tolérants aux sillages de tous types d’activités nautiques.

Bien que l’étude ait démontré que, dans certaines conditions, les vagues de wakesurf et de wakeboard sont beaucoup moins destructrices que les ondes naturelles, la Water Sports Industry Association (WSIA), qui a commandité l’étude, recommande:

  • De faire du wakeboard ou du wakesurf au centre d’un plan d’eau donné, et éviter les canaux ou les voies de communication étroites,
    • Le centre des plans d’eau n’est pas nécessairement l’endroit du moindre impact.
  • De rester à au moins 60 m de tout rivage, quai ou structure fixes,
  • De présenter le côté non surfant du wakeboat face au rivage le plus proche étant donné qu’il a été démontré que le côté non surfant d’un bateau de wakesurf crée des vagues de 10% à 23% plus petites, et avec 23% à 33% moins d’énergie que le côté surf,
  • Éviter les virages près des rives en raison de la superposition possible des vagues et de leur énergie.

Recommandations pour un parcours de moindre impact 

L’ensemble des données précédentes suggèrent que la délimitation d’un tracé de sillage de moindre impact (wake boat) sur les rives des lacs doit considérer les éléments suivants :

  • Caractérisation sédimentaire des rives : les rives en dépôt meuble étant plus sensible,
  • Déterminer les rives affectées naturellement par les vagues de vent,
  • Limiter le parcours dans les zones de plus de 240 m de large : 2 X 120 m par précaution,
  • Éviter les secteurs de moins de 5 m de profondeur,
  • Encourager les navigateurs à diriger leurs vagues vers les rives déjà en équilibre avec les vagues de vents dominants,
  • Décourager les passages répétés et désordonnés pour éviter l’additivité des vagues et de leurs énergies (parcours unidirectionnel),
  • Limiter ce type d’activité au lac de plus de 50 ha de superficie.

Le tracé du moindre impact

Vous aimeriez déterminer si votre lac est propice aux wakeboat ou encore déterminer l’endroit sur votre lac pour favoriser cette activité tout en limitant les effets négatifs ? Sachez que nous offrons ce service conseil. Pour nous contacter: info@lacsetchalets.com.

Références

Goudey, C.-A. and L.-G. Girod. (2015). Characterization of Wake-Sport Wakes and their Potential Impact on Shorelines. Technical report. Water Sports Industry Association.

Mercier-Blais, S. et Y. Prairie (2014). Projet d’évaluation de l’impact des vagues créées par les bateaux de type wakeboat sur la rive des lacs Memphrémagog et Lovering. Rapport technique. UQAM – Société de conservation Lac Lovering – Memphrémagog Conservation Inc.

Raymond, S., et R. Galvez. (2015). Impact de la navigation en milieu lacustre – Étude sur la remise en suspension des sédiments : Cas du Lac Masson et du Lac des Sables. Université Laval.

State of New Hampshire. (2020). Final report of the Commission to Study Wake Boats.

 

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