Le Québec est un vaste territoire recouvert par plus de trois millions (3,6 M) de plans d’eau douce. Toute cette eau supporte un vaste patrimoine écologique et toute une panoplie d’activités économiques, en plus de constituer une source d’énergie durable pour plusieurs générations, et des réserves d’eau potable pour plusieurs municipalités.
L’économie de plusieurs régions du Québec repose sur des activités de villégiature, en raison de la présence abondante de lacs sur leurs territoires. Cependant plusieurs de ces plans d’eau ne sont pas à proprement parlé des lacs, mais plutôt des étangs ou même des mares. Même certains de nos lacs, les lacs non-stratifiés par exemple, se comportent souvent comme de gros étangs, ce qui occasionne régulièrement des problèmes pour les prises d’eau qui s’y alimentent. Il en est de même pour les acheteurs négligents de résidences riveraines qui se retrouvent du jour au lendemain d’un achat, avec un lac peu attrayant, aux usages restreints, aux odeurs désagréables, si ce n’est face à un lac lourdement affecté par la prolifération de cyanobactéries.
Beaucoup de chalets riverains sont à vendre dans plusieurs régions du Québec en raison de problèmes environnementaux majeurs rencontrés par leurs propriétaires. Il en résulte des cas dramatiques ou des poursuites légales sont en cours. Comme une grande partie de la valeur des propriétés riveraines est déterminée par la qualité de l’eau d’un lac, il était prévisible que cette situation ne s’aggrave dans les prochaines années, où toute une génération de baby-boomer est à convertir leurs propres chalets en résidences principales ou encore à acheter une résidence secondaire pour la convertir en résidence principal. Une part importante des acheteurs de condos à Montréal a leurs résidences principales en bordure de lacs (Laurentides, Laval, Estrie) et un condo comme pied à terre au centre-ville de Montréal. Mais ce rêve tourne au cauchemar lorsque le lac rêvé passe au vert pour une bonne partie de l’été.
Cette situation résulte du fait que la qualité de l’eau de nos lacs et cours d’eau ne cesse de se dégrader depuis plusieurs décennies. Au mieux, elle se maintient dans un piètre état. Parmi les causes de la dégradation de nos plans d’eau, le processus d’eutrophisation et son corollaire, la prolifération des cyanobactéries, sont devenus une réalité pour un grand nombre de lacs au Québec. Entre 100 et 150 lacs sont touchés annuellement par les cyanobactéries et des dizaines de nouveaux lacs s’ajoutent à chaque année, et on ne parle ici que des lacs ayant fait l’objet d’un signalement. Dans des conditions optimales c’est actuellement plus de 300 lacs qui pourraient être affectés au cours de la période estivale.
Voir aussi: MON LAC ET LES CYANOBACTÉRIES
Depuis une dizaine d’années plusieurs études menées par des universitaires et des consultants spécialisés ont permis de mieux cerner les axes possibles d’interventions et de déboulonner plusieurs mythes concernant les sources de dégradation de nos lacs et rivières eu égard à leur eutrophisation et à la prolifération des cyanobactéries dans leurs eaux. Ce faisant il a dès lors été possible d’identifier les sources réelles de dégradation et en contre-parti les actions et bonnes pratiques à mettre en place pour sauvegarder la qualité de l’eau de nos lacs et rivières.
Les mythes
Parmi ces mythes il en est un qui malheureusement persiste encore aujourd’hui à savoir le rôle des bandes riveraines comme facteur de contrôle des apports en éléments nutritifs dans les lacs et rivières. Les bandes riveraines, en raison des mécanismes de transports connus du phosphore dans l’environnement (principal élément nutritif en cause dans les problématiques d’eutrophisation et de prolifération des cyanobactéries) ne peuvent jouer un rôle significatif dans le contrôle des apports en éléments nutritifs dans les plans d’eau. D’ailleurs bien des lacs inhabités et même localisés dans des zones protégés comme des parcs nationaux présentent des épisodes de prolifération de cyanobactéries. Nous verrons plus loin les mécanismes impliqués, mais retenons pour l’instant que les bandes riveraines jouent surtout un rôle dans le maintien de la fonction écologique des rives, notamment sur le plan des habitats fauniques.
Un second mythe, tout aussi tenace, consiste à laisser sous-entendre que les installations septiques sont des sources importantes d’apport en phosphore dans les lacs et les rivières. Or des études récentes ont démontré que tel n’était pas le cas, et que de façon naturelle la plupart des sols québécois présentent des conditions pédologiques propices à l’adsorption du phosphore issu des installations septiques.
Voir aussi: LACS ET INSTALLATIONS SEPTIQUES
Aujourd’hui il ne fait plus aucun doute que les milieux humides naturels sont des sources d’apports en phosphore pour les lacs et rivières du Québec, comme le sont aussi les forêts, les terres agricoles et les terrains résidentiels. Chacun de ces milieux reçoit et exporte du phosphore.
Depuis une vingtaine d’années la protection des milieux humides est devenue au Québec le symbole de la protection des milieux naturels, car il ne fait plus aucun doute que les milieux humides sont des écosystèmes d’une grande valeur dans le maintien de la biodiversité d’une région. On leur a attribué une multitude de qualités dont celle de filtrer les eaux de surface. Bien que cela soit vrai pour la rétention des sédiments et des particules en suspension présents dans les eaux de surface, une grande partie du phosphore semble échapper à cette filtration. Bien plus, dans certaines conditions, les milieux humides exportent plus de phosphore qu’ils en reçoivent. Il semble que les conditions nécessaires pour qu’un milieu humide puisse jouer un rôle significatif au plan de l’enlèvement du phosphore sont rarement rencontrées en milieu naturel, puisque cela exige une infiltration verticale de l’eau en travers un substrat dopé en fer et/ou en aluminium.
Au cours des dernières années le phosphore (P) est devenu l’ennemi numéro un de nos plans d’eau, car cet élément est considéré comme le déclencheur de l’eutrophisation et de l’éclosion massive des cyanobactéries.
Le phosphore
On l’aura compris, la présence du phosphore en quantité importante dans nos plans d’eau est le facteur déterminant dans le processus d’eutrophisation, et de prolifération des cyanobactéries. En milieu urbain les sources généralement reconnus sont la combustion des hydrocarbures et les engrais utilisés à des fins horticoles (fleurs, arbres, gazons, etc.). En milieu agricole, la principale source demeure et de loin les déjections animales utilisées comme engrais de ferme. En milieu naturel, les précipitations atmosphériques (10kg/km2/an), le lessivage des sols forestiers, la décomposition de la matière organique forestière et celle provenant des milieux humides inondés constituent les principales sources de phosphore.
Voir aussi: NOS LACS : C’EST BIEN PIRE QU’ON CROIT !!
Dans tous les cas, le phosphore se présente sous trois formes, autan de forme qui implique une forme de contrôle spécifique : le sédimentaire, le particulaire et le soluble (Fig. 1) La forme soluble est la forme assimilable par les organismes vivants, dont les cyanobactéries. On peut mentionner que la forme sédimentaire, soit celle qui est transportée lors des gros coups d’eau dans le fond des cours d’eau est très rarement considéré dans les bilans massiques, même si elle joue un rôle majeur dans la dégradation de nos plans d’eau.
Ce sont surtout les formes particulaires (suspension) et soluble (< 0,45 µg) qui font l’objet d’une attention actuellement. Entendu que lors de fortes précipitations, les eaux de pluviales disposent de plus d’énergie, de sorte que la proportion du phosphore particulaire augmente tout comme les apports totaux. Les apports importants en phosphore soluble proviennent surtout des terres agricoles dont les sols sont souvent saturés et donc peu propices aux mécanismes de sorption et aussi du drainage des milieux humides. Il est considéré qu’un bassin versant occupé par plus de 10 à 15 % de milieux humides est problématique en raison des apports considérables de phosphore soluble générés par ces milieux.
Une chaîne de traitement adaptée aux diverses formes de phosphore.
Dans le cadre de la réalisation du plan directeur de contrôle des apports en éléments nutritifs du lac Brome, Ville de lac Brome et l’auteur du présent article, ont privilégié une approche écosystémique pour définir les axes globaux d’interventions que la municipalité entendait mettre en application sur son territoire. Ce projet, primé par l’Association des ingénieurs conseils du Québec (Grands Prix du Génie conseil Québécois – 2013) est vite devenu une référence pour tous ceux qui travaillent à la protection de la qualité des eaux des lacs du Québec.
La réalisation d’une vaste campagne d’échantillonnage portant sur l’inventaire des sources de phosphore a permis de procéder au calcul des taux d’exportation du phosphore et de localiser les endroits stratégiques pour mettre en place des techniques adéquates de contrôle.
Figure 2. Seuil de rétention des sédiments en fossé de route.
Les solutions qui ont été proposées se divisent en trois grands groupes :
- Des actions orientées vers la sensibilisation du public et des employés municipaux aux règles de bonnes pratiques reconnues en matière de limitation du lessivage des sols enrichis en phosphore (nettoyage des fossés de routes et des cours d’eau, contrôle de l’érosion des ruisseaux par l’usage de techniques relevant du génie végétal);
- Des projets de règlements visant à limiter l’érosion des rives du lac et des cours d’eau limitrophes et à proscrire l’épandage des matières fertilisantes dans des endroits sensibles au lessivage et à l’érosion;
- La mise en place d’une multitude de techniques simples dédiées au contrôle de l’érosion linéaire dans les fossés de routes (seuils (Fig.2), déviation des écoulements vers les milieux forestiers, bassin de sédimentation et marais filtrant (Fig.3) spécialement conçus pour éliminer le phosphore soluble des eaux de ruissellement.
Figure 3. Marais artificiels.
Conclusion
Pour conserver la qualité de nos lacs et autres plans d’eau, nous devons intervenir prioritairement dans leurs bassins versants, en faisant le nécessaire pour limiter la mobilisation et le transport du phosphore vers nos plans d’eau. Cela passe par le contrôle des eaux de pluie, car celles-ci transportent, selon les variations de leur intensité, toutes les formes de phosphore. La lutte pour limiter l’eutrophisation de nos lacs et rivières passe par des interventions en bassin versant et la principale cible est l’eau de pluie. Il faut en limiter la capacité de transport sédimentaire et lorsque nécessaire en filtrer le contenu.
LACS ET CHALETS