Problématique
Il est coutume pour plusieurs intervenants dans le milieu de la protection de l’environnement de considérer les milieux humides comme étant des milieux naturels qui jouent un rôle clé dans le maintien de la qualité de l’eau de surface, en filtrant les sédiments, les matières en suspension et les éléments nutritifs, dont le phosphore, élément principal à l’origine de l’eutrophisation des lacs. Les études les plus récentes tendent cependant à relativiser cette dernière affirmation.
Les milieux humides sont par définition des milieux constitués en grande partie de matériaux organiques saturés d’eau une grande partie de l’année et qui présentent des conditions anoxiques propices à la décomposition anaérobique de la matière organique et au relargage du phosphore. Ils sont inondés lors des crues, mais présentent des écoulements préférentiels en période d’étiage. Lors des crues, les cours d’eau inondent les milieux humides et y déposent de fortes quantités de matières en suspension potentiellement enrichies en phosphore : il s’agit des portions sédimentaires et particulaires, portions qui peuvent faire l’objet du relargage. Cependant, la portion dissoute du phosphore qui peut prendre des journées, voir des semaines à sédimenter en lagune ne rencontre que très rarement les conditions hydrodynamiques propices à cette sédimentation en condition naturelle. Pour ces raisons, les milieux humides naturels sont considérés comme des milieux exportateurs de phosphore.
Modèle et taux d’exportation
Dans les études de lac et en particulier dans l’élaboration de plans directeurs de lac, il est recommandé de faire une évaluation des différentes charges de phosphore entrant dans le lac de manière à identifier les principales sources et de voir dans quelle mesure il est possible de les circonscrire. Faute d’avoir accès à des données prélevées directement à la sortie des milieux humides, on utilise généralement un modèle pour tenter d’estimer les charges massiques de phosphore provenant de différentes parties du territoire.
Dans les années 70, des chercheurs ont proposé un modèle pour évaluer la capacité de support des lacs de villégiature dans la région de Muskoka en Ontario. Ce modèle se basait sur un calcul de bilan de masse et sur le degré de protection accordé au plan d’eau. Or, ce modèle s’est avéré inapproprié après vérification en Ontario et au Québec.
Ces modèles, inspirés des approches agronomiques, établissent grosso modo des taux d’exportation de phosphore selon les différents types d’occupation du territoire : forêt, agriculture, résidences, installations septiques, milieux humides, etc.
Pour les milieux humides le taux d’exportation annuel appliqué actuellement dans le modèle utilisé par le Ministère du Développement durable, de l’environnement et de la lutte aux changements climatiques (MDDLCC), est de 150 000 µg pour chaque kilomètre carré de milieu humide. Cette valeur semble cohérente avec les valeurs réelles obtenues pour les tourbières du Québec. En effet une étude portant sur trente ans de données chimiques a permis de démontrer que les eaux des tourbières présentaient des moyennes en phosphore (essentiellement soluble) oscillant entre 120 et 170 µg/l avec des maximas de 11800 µg/l.
Il est à prévoir un taux encore plus élevé pour des milieux humides inondés en raison d’une restriction naturelle de son drainage : barrages érigés par les castors, perturbations de son réseau hydrique, etc. Selon des travaux réalisés dans les lacs des Laurentides, les castors jouent un rôle important dans le dérèglement des systèmes hydriques des milieux humides. Ce faisant, les charges de phosphore exportées de ces milieux humides augmentent de manière catastrophique.
Au Québec, dans le cadre d’une étude portant sur le développement d’un outil de prévention de l’eutrophisation des lacs des Laurentides et de l’Estrie réalisée par des limnologues de l’Université de Montréal (Carignan, Perceval, Prairie et Parkes, 2007), les taux d’exportation du phosphore vers les eaux de surface (lacs et rivières) ont été estimés et les valeurs sont présentés dans le tableau suivant.
Dans le modèle actuellement utilisé par le MDDLCC, il est à noter que le taux d’exportation retenu pour les milieux humides se rapproche de celui utilisé pour les terres en culture (pérennes) et qui est de 224 000 µg.
Conclusion
Il ne fait aucun doute que les milieux humides naturels sont des sources d’apports en phosphore pour les lacs et rivières du Québec, comme le sont aussi les forêts, les terres agricoles et les terrains résidentiels. Chacun de ces milieux reçoit et exporte du phosphore.
Depuis une vingtaine d’années, nourrit par des groupes de sauvegarde de l’environnement, la protection des milieux humides est devenue au Québec le symbole de la protection des écosystèmes naturels. Et pour cause, car les milieux humides sont des écosystèmes d’une grande valeur dans le maintien de la biodiversité d’une région. Dans le but de souligner cette importance, une multitude de qualités ont été attribuées aux milieux humides, dont celle de filtrer les eaux de surface. Bien que cette fonction soit évidente pour la rétention des sédiments et des particules en suspension dans les eaux de surface, le phosphore semble échapper à cette filtration. Même que dans certaines conditions les milieux humides exportent plus de phosphore en aval, qu’ils en reçoivent en amont.
Dans le cadre d’une approche et analyse écosystémique pour rechercher des solutions à l’eutrophisation des lacs et rivières, il est important de voir à ce que chaque milieu présente les conditions du maintien de leur équilibre nutritionnel. Une terre agricole dont les sols sont saturés en phosphore est en état de déséquilibre et devient alors une source importante de phosphore pour les écosystèmes aquatiques environnants. De même un milieu humide naturel dont les conditions hydrauliques ont été altérées deviendra au contraire une source de dégradation plus importante des milieux aquatiques. En effet, plus un milieu humide est inondé, plus élevé est son taux d’exportation. Il en va de même d’une forêt dont le couvert végétal est soudainement élagué. Les eaux de ruissellement deviennent alors plus efficaces pour transporter les sols forestiers fortement chargés en phosphore.
Dans une étude récente portant sur l’aménagement d’un milieu humide artificiel, des chercheurs ont fait ressortir les conditions nécessaires pour qu’un milieu humide puisse jouer un rôle significatif au plan de l’enlèvement du phosphore. Aussi, et contrairement aux milieux humides naturels, les milieux humides construits peuvent jouer un rôle important dans l’abaissement des concentrations en phosphore dans les eaux qui y transitent. Mais pour y arriver des conditions particulières doivent-être respectées lors de leur conception, leur construction et leur opération.
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