La communauté scientifique s’accorde à dire que les changements climatiques (CC) d’origine humaine se produisent, malgré ce que vous pourriez entendre.

Pour les scientifiques qui étudient les interactions des organismes et leur environnement en eau douce, les CC posent un tout nouveau défi en recherche. Cela représente un problème très complexe étant donné les nombreuses interactions potentiellement impliquées entre l’environnement, les espèces et les activités humaines. Tous les niveaux d’organisation biologique seront affectés, tels que la diversité génétique, le comportement des organismes, la reproduction, la migration et les interactions entre les espèces. Les activités humaines dans les bassins versants introduisent d’autres facteurs de stress affectant l’écologie des lacs qui interagiront avec les effets directs du CC. Nous savons tous que les CC impliquent des augmentations de température. Cela peut affecter une multitude de processus écologiques dans les lacs, y compris la migration, la survie, les interactions au sein du réseau trophique (chaînes alimentaires) et la physiologie des organismes. Pour les espèces dont la capacité de migration est limitée (soit de nombreuses espèces de poissons), il y aura des pertes et des gains, selon leur capacité à survivre à des températures plus élevées de l’eau en été.

 

Par exemple, on prévoit que l’achigan remplacera le doré jaune et le touladi comme espèces de poissons dominantes dans les lacs du nord des États-Unis et du sud du Canada. D’autres interactions écologiques seront affectées par les changements de saisonnalité. Par exemple, la couverture de glace s’amincira progressivement et sera de plus courte durée, ce qui devrait, entre autres, modifier la succession séquentielle des espèces de plancton qui se produit chaque année au printemps et en été. Cela peut créer une désynchronisation de l’émergence interdépendante de certaines espèces de plancton : ainsi, si la floraison annuelle du phytoplancton (algues microscopiques flottantes) se produit trop tôt, le zooplancton (petits animaux semblables aux crevettes) qui dépend de cette source alimentaire sera moins abondant. Cette poussée de zooplancton est une source alimentaire essentielle à la survie des jeunes poissons au début de l’été. Avec l’augmentation des températures, nous nous attendons à ce que les lacs deviennent plus fortement stratifiés thermiquement en été. En d’autres termes, cette couche d’eau chaude (dans laquelle nous aimons nous baigner) qui recouvre l’eau froide sera plus stable et plus chaude dans nos lacs. Cela aura une multitude de conséquences sur le flux de nutriments et autres interactions sur le réseau alimentaire. Plus particulièrement, les cyanobactéries (algues bleu-vert), ce plancton que nous détestons, sont physiologiquement favorisées à des températures d’eau plus élevées et dans des lacs qui sont très stratifiés! Le problème s’aggrave si on considère qu’un changement au niveau des précipitations accompagnant le CC favorisera également les cyanobactéries.

Avec les CC, les précipitations en pluie pourraient devenir plus intenses et plus fréquentes possiblement espacées par des périodes de sécheresse. Les bassins versants modifiés par les activités humaines seront des zones préoccupantes. En effet, le ruissellement occasionné par ces événements de fortes précipitations mèneront à d’importants apports de nutriments inorganiques (p. ex. phosphore et azote), de pesticides et d’autres polluants provenant de l’agriculture, de l’urbanisation ou de zones dénudées de végétation à la suite des projets de développement résidentiels.

Dans ces lacs subissant alors une eutrophisation accélérée, il faut donc s’attendre à une prolifération de cyanobactéries accrue puisque les températures plus chaudes et les précipitations plus variables et intenses, en plus de leurs « résistantes » à la pollution, favoriseront leur croissance.

Pour les lacs éloignés avec des bassins versants très boisés, au Québec, une augmentation des épisodes de brunissement (eaux des lacs plus brunes) devrait se produire avec les changements de précipitations, car plus de matière organique soluble naturellement présente dans le sol et la végétation des forêts sera déversée dans les lacs. Entre autres, ceux-ci entraîneront probablement une chute de la production de poissons et une hausse de poissons contaminés par le mercure ou autres toxines.

Pour les lacs qui sont utilisés pour l’eau potable, cette «brunification» peut entraîner des coûts de traitement d’eau plus élevés en raison des réactifs nocifs produits après la chloration.

Cependant, ces problèmes d’origine naturelle ne devraient pas bloquer nos initiatives visant à augmenter le couvert forestier autour de nos lacs déjà dégradés puisqu’ils sont de loin moins graves que l’eutrophisation accélérée. En combinant toutes ces prévisions scientifiques, nous nous attendons à une altération accrue de nos lacs à travers le Québec, avec les lacs non habités devenant plus bruns et les lacs très affectés par l’activité humaine dans leurs bassins versants devenant plus sujets à des proliférations de cyanobactéries.

Que pouvez-vous faire pour réduire les effets des CC? En plus de réduire votre empreinte carbone en réduisant votre dépendance aux combustibles fossiles, bien sûr, vous pouvez avoir un impact positif de plusieurs façons. Vous devez travailler à réduire davantage la perte de couvert forestier et plutôt l’augmenter, ce qui empêchera le ruissellement des polluants vers le lac.

Dans le sud du Québec, nous devons travailler à réduire l’utilisation d’engrais et de pesticides, tant sur les pelouses qu’en milieu agricole. Idéalement, lorsque leur utilisation est nécessaire, ils doivent être appliqués lors d’une période sèche et ensoleillée afin qu’ils puissent être rapidement retirés du sol par la croissance rapide des plantes et que les précipitations ne puissent pas les emporter vers le lac. Cette solution est avantageuse, car elle permet de réduire le coût des engrais et de réduire la contamination de l’eau. Pour aider à conserver la biodiversité dans le sud du Québec, y compris les populations de poissons, travaillons ensemble à travers les bassins versants et les régions pour conserver les corridors biologiques et ainsi la dispersion des espèces. Ce sont les couloirs forestiers reliés le long des cours d’eau, incluant les lacs, qui permettront aux espèces de se déplacer vers le nord à mesure que les conditions dans le sud deviendront moins adaptées à leur survie. Avec des connaissances scientifiques sur les CC, on sait maintenant qu’il y a des actions que nous pouvons poser afin de garder nos lacs « baignables », « pêchables » et agréables pour les générations futures !

 

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Texte paru dans LE MEMPHRÉ. Par Beatrix Beisner, PhD Professeure, Université du Québec à Montréal (UQAM), Département des sciences biologiques Directrice, Groupe de recherche interuniversitaire en limnologie (GRIL)